The three lives of Alessandrini

A force, tout se ressemble. Les courses nord-américaines ont toutes la même gueule. Des routes toute droites, à travers les forêts et les sapins, en faux-plat montant. C'est toujours la même intensité mais la monotonie s'installe et mon corps continue de faiblir. Je continue de me montrer du mieux que je peux en travaillant dur pour mes leaders et en tentant de prendre part aux sprints massifs sur les étapes les plus plates.

La vie d'étudiant me manque. En dehors des courses, qui restent excitantes, je passe la plupart du temps à m'entraîner. Chaque jour, j'enfourche ma machine pour des sorties interminables dans les parcs de Calgary et les suburbs. Un certain ennui s'installe. Impossible de sortir avec les amis le soir, trop fatigué, interdiction de boire, fais pas ci, fais pas ça. Je vois rarement ma copine, encore moins mes collègues d'uni. Est-ce qu'il y a vraiment un but à tout ça? A 19 ans certains sont déjà champions du monde chez les juniors. Moi? J'ai remporté les championnats provinciaux dans ma catégorie...

Au Canada, les gens comprennent facilement les sacrifices des jeunes en hockey. Mais en cyclisme? Hesjedal est petit à petit passé dans l'oubli, en dehors des fans et des spécialistes. Face à l'ignorance des masses,dur de justifier le gâchis des plus belles années de sa vie pour un rêve inatteignable.

Spoiler:

Ma première saison se termine sur ma « home race », le Tour d’Alberta. Je n'ai pas été retenu par la fédération pour les championnats du monde de Richmond... "cette année a été hautement compétitive", dixit le mail "et nous avons dû faire un choix extrêmement difficile pour notre équipe. Bravo à tous pour vos performances". Du beau bullshit.

Malgré tout, la motivation est présente car j'ai la chance de pouvoir courir sur mes routes d’entraînement et devant ma famille. Ils vont pouvoir contempler à quoi ont servi tous mes sacrifices, ces fêtes manquées et tout les moments où "désolé, mais je n'ai pas vraiment le temps". Malheureusement, la marche est un peu haute et le niveau trop compétitif. Au final, je me montre en échappée mais sans peser sur la course un moindre instant… Les jambes sont courtes, trop courtes. Même si j'ai finalement peu couru cette année, je peux clairement sentir que mon corps n'est pas encore totalement adapté au haut niveau.

Bonne nouvelle néanmoins puisque l’équipe me propose de prolonger pour un an. Ils ont vu du potentiel et me proposent de poursuivre avec eux. Honnêtement, ce n'est pas forcément l’opportunité la plus excitante du circuit mais ça me permettra de progresser encore un peu dans un environnement que je connais et de poursuivre mon bachelor à mi-temps. Je décide de tenter l'aventure pour une saison supplémentaire.

Contrat 2016
H&R Block Pro Cycling (CT)
Equipier
1.500€/mois | 31.12.2016

19 janvier 2023, Adelaide, Australie

Du petit sas vip on entend clairement les cris de la foule, excités par le speaker. Des milliers d’australiens se sont réunis en cette fin de journée pour venir nous accueillir. L’excitation monte, la pression aussi. Était-ce le bon choix ? La marche est-elle trop haute ? Bien-sûr qu’elle l’est – c’est un véritable gratte-ciel que je m’apprête à grimper. Mais dire non à cette chance… je l’aurai regretté toute ma vie. Et puis je l’ai mérité. J’ai été la chercher cette opportunité. Tous mes sacrifices ont payé.

Je sais que le marketing a payé, qu’en tant que canadien je vais attirer les médias. Je suis devenu un petit phénomène, et ça a joué son rôle dans les négociations. Je ne suis pas naïf. Mais je sais aussi ce que je vaux, je suis un bon coureur. Et je vais leur montrer qu’ils ont fait confiance à la bonne personne. Tant de pression. Je regarde mes coéquipiers, pour la plupart ils n’ont pas l’air trop impressionné. C’est le Down Under après tout.

Mais pour moi, c’est le début d’un rêve. A 27 ans, je m’apprête à découvrir, enfin, le World Tour.

Calgary est toujours couverte de neige que, déjà, il faut se préparer pour la nouvelle saison. Le manager m’a fait parvenir mon programme : du classique. Quelques courses aux USA et au Canada, avec l’Alberta en fin de saison, il ne faudra pas se manquer si je veux être remarqué. J’espère me montrer plus régulier sur les arrivées massives et mieux passer les bosses. Pour la première fois j’ai commencé à aller à la salle histoire d’augmenter mon foncier. J’espère que ça paiera. J'enchaîne les séances de home-trainer, surtout sur ma pointe de vitesse. Les relances, à ce niveau, ça vous casse un homme. J'espère que mes efforts paieront. Car même si je m'autorise des moments détentes avec mes proches, histoire de recharger les batteries, je n'ai jamais mis autant de temps pour le cyclisme. Surtout que notre meilleur coureur de l’an dernier, De Vos, nous a quitté. Avec un effectif amoindri, il va falloir monter en puissance pour pallier à son absence. Mais c'est aussi l'occasion de montrer ce que je vaux. J'ai 20 ans, c'est maintenant que les recruteurs vont commencer à m'étudier.

Michele "Mike" ALESSANDRINI
Calgary, Canada
4 nov 1996 (20 ans)
Sprinteur

Carrière
2014 – Junior
2015 - H&R Block Pro Cycling (CT)
2016 - H&R Block Pro Cycling (CT)
- - - -
2023 - EF Pro Cycling (WT)

J’avais oublié l’intensité du circuit américain. Autant vous dire que mon corps a déjà largement perdu la fraicheur accumulée cet hiver. Je peine sur les vallons, je peine sur les longues étapes, mais le pire c’est la montagne. Dès que la route s'élève, je suis à la perdition. Je finis systématiquement à une trentaine de minutes du vainqueur, complètement largué. Et j'ai tant de mal à récupérer...

Malgré tout, je m'éclate sur les critériums. Comme en junior, c'est ce qui me plaît le plus. Les courses courtes, folles, à toute vitesse dans des circuits aux virages à angles droits, ça c'est le vrai cyclisme! Au Tour of the Gila, je tiens les roues dans le sprint final et accroche mon premier top 10 professionnel sur la quatrième étape! Je me prends presque la barrière dans le dernier tour, en frottant sur la droite pour remonter. Dans ces moments de pur adrénaline c'est manger ou se faire manger. Et à ce petit jeu là, je serai le dernier à laisser un autre me passer devant. Il me manque juste un tout petit peu d'accélération dans le final pour lutter pour la victoire. Ca viendra.

Rien à dire, ça fait du bien au moral avant mon retour au Canada pour la deuxième partie de saison. Le staff est content, je suis content, je suis prêt à scorer. Avec les mondiaux tous plats de Doha en fin de saison, qui sait si 2016 n'est pas mon année.

Spoiler: