The three lives of Alessandrini

Ma petite chambre étudiante était située au sud de Bergame, dans le quartier de Canovine. Depuis la petite terrasse vétuste on apercevait les contours de la Città Alta, le cœur historique de la ville dont le fort surplombait la ville. Le nord était très différent du rythme romain auquel j’étais habitué, lorsque nous venions passer des vacances en famille. Ici, en Lombardie, tout fonctionnait mieux. Les gens étaient plus pressés, plus organisés aussi.

Courir pour Delio était à la fois un retour en arrière et un pas en avant. La structure était tout ce qui était des plus amateurs, avec un staff minimal et de minuscules bureaux dans une zone industrielle à l’ouest de Brescia. Mais le circuit espoir italien était aussi l’un des plus compétitifs, avec des courses comme le Baby Giro vers lequel tous les regards (de recruteurs) étaient tournés. A 22 ans, j’étais peut-être trop vieux pour évoluer à un tel niveau. Personnellement, je préférerais voir Delio comme une bonne manière de m’adapter au niveau Européen. Et surtout, de couper avec mes chagrins restés en Amérique du Nord.

Et puis, l’Italie c’étaient mes racines. Je revenais au pays ! L’équipe m’avait tout de suite accueilli comme l’un des leurs, pour mon plus grand plaisir. Je profitais de mon temps libre pour explorer la Lombardie et ses nombreux trésors. Je passais même un week-end mémorable à Côme, visitant la ville et flânant autour de son magnifique lac (connu pour abriter un nombre impressionnant de pros). La nourriture ici était quelque chose d’autre, surtout comparé à ce dont j’étais habitué par mes restaurants italiens au Canada. Et même si mon italien était teinté d'un petit accent, qui trahissait mon éducation au Canada, je me sentais ici chez moi. Je l'avais fait, mon rêve, j'étais coureur cycliste en Italie !

Preuve ultime, Dellio m'avait inscrit à la fédération sous mon passeport italien et mon prénom complet. Bye bye Mike, place à Michele !

21 mai 2022, Durrës (Albanie)

Nous étions réunis dans la salle de réception de notre hôtel du jour, un quatre étoiles bien sympathique, en bord de mer sur la côte Albanaise. Durrës plus précisément, pour le Tour d’Albanie. Je venais d’accrocher la quatrième place de l’arrivée du jour, un sprint en léger faux plat. L’ambiance était généralement bonne dans l’équipe, nous profitions du soleil de mai et de la bonne entente dans l’équipe.

C’était ma deuxième saison avec Jadranska Banka. Et, le moins que l’on puisse dire, c'est qu'on on en avait fait du chemin. Tous et surtout moi, le p'tit Mike, j'en avais fait du chemin depuis Calgary. Les hauts et les bas, les déceptions et les victoires; je me rappelais encore de mes débuts en Europe, à batailler chez les espoirs sous la pluie italienne. Je n'avais pas tenu un mois que déjà j'attrapais mon premier rhume, abandonnant la petite soeur du monument Milan - SanRemo et me faisant railler, déjà, par mes coéquipiers pour mon physique fragile (alors que j'étais le plus vieux et costaud de l'équipe). J'avais appris, dans la douleur et la modestie, et gravi les échelons un à un. Rien ne m'avais arrêté et j'étais plus proche que jamais de mon rêve ou, du moins, à nouveau là où j'étais en 2020. Stupide coronavirus.

L’effectif sur ce Tour d’Albanie était bosseur et appliqué, des forçats de la route prêts à tout pour décrocher la lune et une place en World-Tour. Certains étaient des mercenaires, comme le rouleur grec Panagopoulos. Il avait défrayé la chronique il y a quelques années pour son comportement indécent en Afrique du Sud… avant de faire carrière dans des contis toutes pêtées en Colombie et en Equateur. Il y avait les croates, bien-sûr, toujours entre eux à rire de tout et haranguer les femmes. Et puis mes deux fidèles italiens, Pedretti et Mazzucco, qui m’emmenaient sur les derniers mètres des sprints. J’étais bien, enfin posé après avoir voltigé d’équipes en équipes.

Le manager, Krajnović, était présent aujourd’hui. Ce n’était pas habituel. Généralement, il ne suivait que les grosses courses. C’est lui qui m’avait signé. Un homme très fermé et toujours sérieux, mais avec qui on pouvait discuter et à qui je faisais confiance. Comme à chaque fois que je le voyais au travail, il avait l’air grave et une chemise aux manches retroussées.

‘- Je ne vais pas aller par quatre chemins. Je n’ai pas de bonnes nouvelles.

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Je n’avais jamais autant couru en un mois, ou en tout cas pas que je m’en souvienne. Les petites courses s’enchainaient, avec à chaque fois des scénarios peu prévisibles et de la nervosité de tout instant. Le circuit espoir n’était pas plus facile, au contraire, que ce à quoi je m’étais habitué sur mes trois premières saisons. Trois saisons déjà ! J’avais du mal à y croire, le temps passait si vite. Je ne sais pas si je me reconnaîtrais dans ce néo-pro mal affûté qui avait débuté sur les routes du Tour de Gila. Et puis, parfois, à courir avec ces gamins de trois ans de moins que moi je me demandais sérieusement si j’étais ici à ma place. A 22 ans on ne rêve pas vraiment d’être sur le circuit espoir. Mais un canadien de 22 ans rêve aussi de courir en Italie. Au final, à moi de faire le plus possible de cette opportunité.

Ce soir d’avril je dînais chez la nonna avec mes cousins, dans la maison familiale en bord de mer. La baie d’Ostia n’était définitivement pas celles des cartes postales, mais c’était chez moi. J’étais extra motivé de courir presque à domicile (ou en tout cas là où mes parents étaient nés) pour le Gran Premio della Liberazione. Malheureusement, les bosses le long du circuit final avaient fini par coûter trop d’énergie et j’échouais au pied du podium. Rageant… surtout que la famille avait fait le déplacement. Peu importe... pour eux, j’étais un athlète, j’étais dans une course et j’avais presque gagné ! Alors on me fêtait bruyamment autour de la grande table de la terrasse, entre aperitivo et bouteilles de vins à bas-prix du Carrefour Market du coin. Ce soir là, dans la petite chambre où je dormais parfois quand nous passions nos vacances ici tout petit, je m'endormais avec un grand sourire.

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Avril 2023

Les futurs compétiteurs de cette nouvelle édition de Paris-Roubaix nous livrent leur ressenti et mémoires de la course mythique, à une semaine du départ de cette 120ème édition. Aujourd'hui, Mike Alessandrini, de l'équipe américaine EF.

J’ai détesté mon premier Paris-Roubaix. Du début à la fin. Même chose l’an dernier. En deux départs, je n’ai jamais vu le Vélodrome : ça te montre un peu la chance que j’ai eu à chaque fois. Certains parlent de la légende des pavés, du public fou, et oui c’est sûr que c’est une course comme aucune autre. Mais moi, la seule chose que je n’ai jamais ressenti c’est la douleur. Beaucoup de douleur, beaucoup de poussière, beaucoup de secousse et très peu de chance. Aucun plaisir, j’ai détesté la journée.

Ma première fois c’était en 2018, ma première saison en Europe dans une équipe espoir italienne. J’avais été sélectionné avec l’équipe d’Italie pour Paris-Roubaix puisque je courrais avec une licence italienne. Bon, pourquoi pas. Je me dis : c’est Paris-Roubaix, Mike, ne fais pas le con, personne ne dit non. Il y aura les recruteurs du World-Tour, c’est l’occasion de briller. Et puis je suis un sprinteur, donc je me dis : si je tiens les pavés, avec mon explosivité et ma vitesse dans le final, pourquoi pas aller surprendre quelqu’un. Donc je me retrouve au départ, sans avoir jamais couru de flandrienne de ma carrière. Et, à l’époque, mon endurance était quasi nulle, enchainer les bornes ce n’était pas pour moi.

Je crève dès le premier secteur. Au septième, je suis déjà loin derrière les meilleurs et je crève à nouveau. Au onzième, je pers l’équilibre en tentant de prendre les bas-côtés et je me retrouve dans le fossé. Bon, je suis déjà à une vingtaine de minutes des meilleurs, je monte dans la voiture balai. Et je courrais en espoir, certes, mais j’avais 22 ans ! C’était ma quatrième saison cycliste, et les pavés m’avaient fait passer pour un petit gamin. J’étais dégoûté. Plus jamais je me suis juré. Et puis je suis revenu l’an dernier, avec à nouveau un abandon. Les conditions n’étaient pas ouf, la malchance, ça s’est répété. Mais l’atmosphère chez les professionnels était très différente, on sent le poids de cette course, des scénarios fous et du palmarès. Évidemment, cette année ce sera très différent. Je viens ici avec un certain statut, ce sera du tout nouveau pour moi. J’espère que les pavés m’accorderont leur clémence.

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Lorsque j’ai enfilé ce maillot il n’y en avait pas de plus beau à mes yeux. Je changerais d’avis quelques années plus tard, dans de drôles de circonstances. Mais pour un Italien (ou du moins la version Canadienne d'un Italien), le Giro restait la course mythique et son maillot rose le graal. C'étaient mes principaux souvenirs du cyclisme et en grande partie ce qui m'avait motivé à devenir coureur, mon père ne suivant aucune autre course du calendrier (en dehors de Milan - San Remo). Ce n’était que le Baby Giro mais, pour moi du moins, lever les bras ici et porter la Maglia Rosa était un rêve devenu réalité. Et un pas de plus dans ma carrière de cycliste professionnel.

Le Baby Giro était un de mes grands objectifs de la saison, et une totale réussite au final. J’abordais la deuxième-partie de ma première année en Italie avec beaucoup plus de sérénité désormais. Je nageais en pleine euphorie et, cerise sur le gâteau, des équipes à plusieurs niveaux m’avaient déjà contacté pour 2019 en soulignant mes excellents résultats sur le circuit espoir. Pour la première fois j’avais de nombreux choix devant moi et l’impression d’avancer. Pour la première fois je rêvais de Tour de France et de World-Tour.

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